Le platane, la bascule et le Malakoff.

Le platane, la bascule et le Malakoff.

 

Sur la place de son village, devant la mairie, il y avait sept platanes.

A 16h30 après l’école, ils se retrouvaient là, filles et garçons  tartine de pain et morceau de chocolat. Elle,  s’était toujours un « Malakoff » qu’elle mangeait avec plaisir, Malakoff  « de Marlieu » chocolaterie toujours en activité. Malakoff, petite règle carrée de chocolat au lait parsemé d’éclat d’amandes ou de noisette  bien enveloppé dans un papier en or, elle l’ouvrait délicatement, prenait l’or du papier, le déplissait et le pliait en quatre pour le ranger précieusement dans sa trousse à trésors. Ce bâtonnet était une des rares friandises qui jalonnaient sa journée. Bonheur inégalé des douceurs rares données avec parcimonie…Ces chocolats c’est sa mémé qui les achetait par grosses boites de cent au représentant qui venait régulièrement prendre commande de café, de sucre et de confiseries  pour son petit « bistrot» de village.

Privilège d’être la petite fille de la dame du café d’en face.

Ce privilège j’en étais fière et j’aimais le croquer mais aussi l’échanger mais aussi le donner à Francette qui n’avait que du pain et des morceaux de sucre…

Au pied du plus gros platane, oui celui qui est à droite de la bascule, vous connaissez la bascule ? C’est cette partie bien plate sur la place où on peut jouer à la corde à sauter sans avoir plein de cailloux dans ses souliers.  Où on peut avec notre hula hoop  joli cerceau coloré et léger, c’est le bleu mon préféré,  on peut en agitant très fort son « popotin » sur un rythme endiablé  le faire tourner pendant de longues minutes et l’exploit ultime c’était, en même temps, de faire  bouger la bascule de  gauche à droite ! Pur moment de bonheur pour en mettre plein la vue aux garçons !

Moi je jouais aux billes mais je n’ai jamais vu de garçons faire tourner le hula hoop et c’est bien dommage !

Cette plateforme de pesée a disparu entre 58 et 60 elle servait à peser les charges de bois des tombereaux, on payait la taxe à « la bascule » et on savait combien de kilos de bois on allait pouvoir livrer…

La bascule a basculé dans les oubliettes et les quatre bornes de pierre où je venais me reposer se reposent pour l’éternité dans une jolie propriété.

Et au pied de mon gros platane ?

Il y avait de grosses racines : cavernes ou labyrinthes et,  beau,  bien rond, profond comme il faut il y avait un trou. Notre « pot » que les garçons consciencieusement nettoyaient, inspectaient, lissaient.

La chose bien faite on sortait de nos poches nos trésors, une fois sortis la partie pouvait commencer, les billes allaient recevoir pichenettes et incantations, changer de poches, faire pleurer de rage le perdant. Je ne me souviens plus de la valeur d’un bigarreau énorme noir ou couleur bleu nuit, l’agate aux couleurs arc-en-ciel,  la petite bille toute simple  en terre vernissée rouge bleue verte, comme les petits  chewing-gums du distributeur  qui se trouvait dans l’épicerie mercerie épicerie poissonnerie (morue dessalée tous les jeudis sous l’eau de la fontaine du village !) galerie farfouille où tu trouvais de tout même des conseils pour faire de économies !

Des élastiques ? Elle te les vendait par 5, rangés par ses soins dans un papier cellophane fermé par un bout de « papier collant ».

De la ficelle ? Elle gardait précieusement les ficelles qui entouraient ses colis et tu avais un gros un moyen ou un petit peloton pour trois fois rien.

Les bouteilles de gaz…là c’est une anecdote plus tardive, j’étais jeune mariée, elle était toujours fidèle la dame de la galerie farfouillette ! Je venais chez elle chercher mes bouteilles de gaz. Un jour elle m’a dit : « oh ! La grande tu viens bien souvent…tu peux faire beaucoup d’économies en arrêtant ta cuisson 10 mn avant la fin et en laissant ta casserole fermée. » Sur le moment ça m’a fait sourire mais maintenant encore quand je me sers du gaz…je pense à elle et je suis ses conseils,  économie, geste citoyen qui à l’époque était naturel et qui je crois doucement le redevient…par nécessité , par geste écolo...

Et ce matin une bouteille de gaz a explosé loin là-bas, beaucoup de morts, beaucoup de dégats...

Et ce matin je suis allée au super marché et en parlant d'économie, écoutez qui j'ai vu. Au super marché je n'ai pas vu superman non, j'ai vu une dame toute simple toute gentille, une mamie âgée qui paraissait pauvre et esseulée, elle poussait son charriot avec difficulté je l'ai un  peu aidée et puis j'ai regardé.

Dans son charriot il y avait des denrées avec une étiquette orange: -50% et puis il y avait  trois gros cartons de jouets, plein de poussière et encombrant.

 eux aussi avaient la même étiquette orange, ces cadeaux avaient l'air de sortir de la vieille réserve du magasin...

et voilà à quoi j'ai pensé:

économie ou nécessité

pingrerie ou pauvreté

stratégie d'une habituée des soldes de janvier

stratégie d'une démunie qui résiste à sa vie....

Sa réalité est à elle et nous:  chacun son interprétation de cette musique peut-être douce peut-être triste mélancolique pathétique mais pas tellement magique.

Et j'ai continué de faire mes courses avec dans ma poche mon porte monnaie bien rempli mais le superflu, je l'ai laissé sur l'étalage, je n'ai pris que le nécessaire.

 

A l’époque, à l’époque …dis mamie c’est quoi ton époque ? Le temps des châteaux forts ? 

 Ce platane que j’aimais tant, souvent me faisait gagner.

Alors, quand un jour je les vis, ces gros bucherons avec leur hache et leur scie, lui couper la tête les bras les doigts et les mains j’ai pleuré et j’ai fait « la trogne » (chez moi faire la trogne c’est bouder) oui j’ai fait la trogne pendant longtemps.

A chaque partie de bille, je perdais maintenant !

De ses gros moignons,  je voyais couler du sang.

Mais au printemps puis dans l’été, il s’est mis à repousser plus beau qu’avant, plus souriant. Je ne faisais plus la trogne, j’étais aux anges.

Je recommençais alors à gagner bigarreaux et agates aux couleurs arc-en-ciel. Mes poches étaient pleines de billes. Le platane bienheureux, généreux me donnait la victoire. Je mettais les billes dans mes poches pas crevées, mon vieux manteau aussi devenait idéal.  J'allais sous mon platane  comme une reine et lui devenait mon vassal .Oh ! La la ! Que de parties  splendides j'ai rêvées et gagnées (ma maîtresse de CM1 partie début décembre 2012 sur l’autre rive de la vie, venait de nous présenter Rimbaud…)

Sais-tu toi qu’un autre jour où je faisais encore la trogne, j’ai rencontré le roi Pan, assis sur un banc, là sous le platane aux moignons gris de souffrance ? Et sais-tu ce qu’il m’a dit ?

Non ? He bien je ne te le dirai pas !

 Mais une chose est certaine, depuis ce jour j’attends le roi Pan sous ce platane ou sous l’image de ce platane, le platane est devenu fier et beau et pour égrener le temps, délicatement je décolle 7 petits bouts d’écorce que j’emporte dans ma poche et tranquillement, je remets en place ces 7 morceaux de puzzle et le lendemain, je retourne sous le platane et inlassablement je recommence.

 

Je boude souvent mais pas longtemps…chaque blessure donne force nouvelle,

chaque petit coup de hache peut faire monter la sève.

mais des ailes coupées ne repoussent jamais jamais

alors apprenons leur à voler, aidons-les et laissons-les aller bien haut!

et les arbres ne les abattons pas n'importe comment mais avec discernement.

 

 

"Quand le dernier arbre aura été abattu

Quand la dernière rivière aura été empoisonnée

Quand le dernier poisson aura été péché

Alors on saura que l'argent ne se mange pas."

Géronimo

 

 

                                                                                 pic2

 

Commentaires

  • Carole

    1 Carole Le 17/01/2013

    Tu as bien fait d'écrire la fin en vert, Pan t'en sera reconnaissant.
    Excellente idée, ces récits du passé. l'anecdote de la bouteille de gaz m'en a rappelé une autre. Les souvenirs des autres nous conduisent toujours un peu aux nôtres, j'adore ça.
    jamadrou

    jamadrou Le 17/01/2013

    Oui Carole, dans une autre histoire ton almanach Vermot avait la même odeur que le mien et tes kakis dans la cour de l'hôpital ont fait remonter l'âpreté de ceux de mon oncle. La magie de la lecture...et l'intéret du partage en direct de l'émotion lecture. une autre bouteille de gaz a explosé aujourd'hui et a fait beaucoup de dégats, beaucoup de morts et ma bouteille de gaz passée fait bientôt partie d'une illusion. j'aime tes commentaires.

Ajouter un commentaire

Anti-spam